La première fois c’était des p’tites larmes qui ont eu la politesse de rester au bord des mes yeux. Cachées derrière mes lunettes de soleil, elles ont compris que leur présence devait se faire discrète. Elles seraient toujours les bienvenues, car moi, pleurer, ça me fait plus peur. Ça ne me fait même plus honte. Bien souvent même, ça m’fait du bien. Et puis j’en ai besoin, parfois tu vois. Fait qu’aujourd’hui, je suis sortie de chez moi et il y avait des musiciens dehors et tout un groupe de gens autour. Tout le monde était vraiment très joyeux, souriant, heureux. Je me suis arrêtée pour écouter ce rythme endiablé des tambours, les cris, les baguettes qui claquaient. Et comme la veille j’avais passé une super journée, et qu’en 2 mois, pour la première fois je me suis dit à moi seule «Eh! I’m back! Merde alors! Je suis là! Pour de vrai, j’suis là! C’est moi qui rit fort! C’est moi coupe la parole de mes amis juste pour placer une blague à deux balles. Je suis là, me revoilà enfin!» j’avais cette énergie encore bouillante au fond de moi (Je serais pas surprise si on me disait qu’on m’avait vu sautiller dans la rue). Et puis, c’est arrivé sans prévenir. En plein milieu de la rue, de la foule, en plein milieu de la chanson. Mes larmes sont sorties. Toute cette joie, toute cette énergie autour de moi, toutes ces émotions mélangées au milieu desquelles je me trouvais m’ont littéralement transportée. J’étais là. Je le vivais. Je participais à cette joie et moi aussi je ressentais une émotion particulière à l’écoute de cette musique. Je me suis sentie vivante. Plus que jamais depuis ces derniers mois.
Qu’on ne se méprenne pas, je le sais bien que je reviens pas de si loin. J’ai même pas un peu frôlé la mort ou quoi. Mais je crois que là maintenant je veux le dire. Juste pour le dire, rien d’autre. C’était fucking tough cette épreuve. Physiquement bien sûr, parce que quand t’es malade et qu’on doit te soigner, ton corps t’appartient plus vraiment. Tu te fais toucher, regarder et insérer des trucs là où tu veux vraiment pas qu’on t’insère des trucs, tu ingurgites des choses dégueulasses, des cachets de toutes les couleurs, parfois 10 par jour, on te pique, repique, on arrache, on coupe, on agrafe, on te prévient pas et on te fait sentir comme une merde qui sait pas retenir ses larmes comme un adulte. On te dit que ça va être rapide et on te ment. On te dit que ça va faire un peu mal et on te ment. Car en vrai, tu pensais avoir déjà connu la douleur, tu pensais que c’était correct d’avoir encore un peu mal, que visiblement tu étais faite forte et que tu pouvais en prendre encore peu plus. Jusqu’à ce que tu découvres un nouveau stade de douleur. Tu apprends donc aussi qu’il y a toujours pire. Tu apprends que seul le temps pourra te sortir de cette galère. Tu les laisses donc toucher, couper, enlever ce qui faut, et surtout tu les laisses te parler comme à un enfant, parce que des fois, ça fait du bien d’être un enfant.
Et moralement aussi. Parce qu’on te répète que c’est temporaire, que tu vas t’en sortir, que le pire est passé, que t’es forte, qu’on aimerait faire plus pour t’aider. On te demande si «ça y est c’est fini les maux de ventre, tu peux manger ce que tu veux» comme ci c’était seulement ça, la maladie de Crohn. Alors avec le peu de force que tu trouves dans ta petite caboche, qui elle, ne se donne jamais un moment de répit, tu dis «oui, oui, ça va». Que veux tu répondre d’autre, «ça va», c’est la bonne réponse, pour faire simple, court et poli. Sauf que c’est pas encore assez loin tout ça. Ces mains, ces aiguilles, ces odeurs, ces horribles et traîtresses douleurs.
Tout ça c’était avant. Avant hier. Avant que je rie fort et que je coupe la parole de mes amis juste pour placer une blague à deux balles. Avant que je chante «Au bal masqué» avec ma brosse en guise de micro et que je décide de marcher 40 minutes pour me rendre chez mes amis au lieu de prendre le bus, juste parce que «je suis capable». Hier c’était une journée déclic. Et aujourd’hui, c’était la journée où je le réalisais. Ces larmes, c’était mes bras qui me berçaient, ma bouche qui me rassurait, ma tête, qui enfin, se reposait.
Ce qui nous amène à la deuxième séance de pleurnichage. Un peu plus grosse celle-ci, sûrement parce qu’on était à l’abri des regards, j’ai même laissé quelques sanglots sortirent. Je me suis laissée pleurer, car je savais que ces larmes étaient des larmes de contentement. «Ça y est ma vielle. C’est fini. Tu es de retour.» Et merde, c’était juste trop de me dire que j’avais réussi. Pendant des mois, semaine après semaine, les mauvaises nouvelles s’accumulaient. Et puis l’annonce de la solution tant redoutée. Et puis l’annonce de la convalescence. Et puis le constat des dégâts. Quand je suis rentrée chez moi après l’opération et que je me suis retrouvée sans faire exprès devant un miroir plein pied. Le choc de voir ce corps amaigri c’était juste trop. Mes yeux qui paraissaient immenses sur mon visage creux, mes cuisses qui étaient séparées par une année-lumière, même mes doigts étaient maigres. Aujourd’hui c’était derrière moi. Ou presque. Disons en grande partie. Je me réapproprie ce corps, je retrouve mon humeur et mon humour (peut-être au grand désarroi de mes proches!), je retrouve l’envie de manger, de danser et chanter des tubes pourris.
Pourquoi j’écris tout ça? Je pourrais plutôt le partager avec mes amis, ma famille ou un bon psy. Je l’écris parce que c’est ça ma vie. Et l’écrire, c’est la rendre réelle, aussi pourrie qu’elle puisse être par moment. Vous savez, (enfin du moins, vous allez le savoir quand je fermerais cette parenthèse), vous savez, on m’a diagnostiqué ma maladie de Crohn en 2007 et ça fait plus de 10 ans que je suis malade. Et bien c’est seulement en 2016 que je l’assume. Allez savoir pourquoi, sûrement parce que je ne pouvais plus encaisser seule. Sûrement aussi parce que je me suis sentie assez bien entourée pour assumer les symptômes, et ne plus me cacher derrière des mensonges.
Aujourd’hui, parce que j’en parle publiquement ici, j’ai pu avoir des discussions avec des personnes concernées de près ou de loin par le même sujet, ou très similaire. Des conseils, du soutien, des interrogations, des prises de conscience, peu importe ce que je parviens à leur offrir, je veux aider quiconque à sortir de l’ombre de ces maladies qui nous ruinent en silence. Comme moi, il peut être long le temps qui passe avant d’accepter de se considérer comme quelqu’un de malade. Et malheureusement, dans ces cas-ci, dans en premier lieu, le temps fait des ravages.
En parler, c’est déjà agir un peu. Agir un peu c’est avancer vers le moment où on se dira «Tout ça, c’était avant». Et puis un jour sans prévenir, on se met à chialer dans la rue parce que c’est fini.
Pour finir, avant l’opération on m’a dit cette phrase qui m’a suivie pendant tout l’été. Les batailles les plus dures sont données aux soldats les plus forts. Je suis fière d’être faite forte. Je suis fière de mon combat. Et si mon corps lui s’est affaibli, j’espère que ma tête, elle, se renforcera.
À nous tous, à toutes nos victoires!
Merci pour votre soutien. Vos encouragements ont été d’une grande aide.
Merci à Simon Laroche pour la photo, qui sera un beau souvenir de cette épreuve.
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